Les larmes lui montèrent aux yeux. Il était installé au piano. Un magnifique piano à queue comme certains sur lesquels elle avait pu jouer. Le son qui s'en dégageait était juste sublime.

Il jouait un morceau qu'elle ne connaissait que trop bien. Elle l'avait interprété lors d'une audition et remporté le premier prix... le largo de la sonate n°3 op. 58 de Chopin.

C'était un mouvement de la pièce du maître qu'elle préférait. Elle avait lu quelque part que lorsque le grand compositeur la jouait lui-même, son auditoire était tellement captivé par sa musique céleste qu'il arrivait même à émouvoir jusqu'aux larmes.

Les siennes redoublèrent. Elle tremblait. Des spasmes lui parcoururent le corps... jusqu'à ses mains...

Etait-ce une façon de la torturer ?

Il jouait merveilleusement bien....

Depuis des jours, où même des mois qu'elle le connaissait, toute perception de temps l'avait abandonnée, c'était la première fois qu'elle l'entendait jouer.

Un sentiment étrange vint s'insinuer en elle. Toute lucidité la quittait peu à peu au fur et à mesure que les notes s'égrenaient.

D'un coup elle vit cet homme autrement. Son esprit s'embrouilla. Un trouble singulier s'empara d'elle, purement instinctif qui l'épouvanta...

Ce ne pouvait être qu'une folie, une aliénation de son cerveau... Trop de temps, trop de douleur, de désespoir et d'abattement...

Elle sombrait doucement vers un abîme totalement extravagant compte tenu des circonstances.

Elle revit alors le moment où elle l'avait rencontré pour la première fois. A la fin d'un concert il était venu la féliciter. Elle l'avait trouvé charmant. Ils avaient échangé quelques mots et il l'avait invité à boire un verre. Sans réfléchir, elle avait accepté. La plus grande erreur de sa vie...

Maintenant, elle était à sa merci...

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